Pourquoi les grenouilles ne s’empoisonnent-elles pas avec leurs toxines selon des scientifiques

Une étude révèle comment les grenouilles fléchées évitent de s'empoisonner avec leurs propres toxines stockées dans leur peau.

© Pourquoi les grenouilles ne s’empoisonnent-elles pas avec leurs toxines selon des scientifiques

Les grenouilles, en particulier celles de la famille des dendrobatidae, connues sous le nom de « grenouilles flèches » et originaires d’Amérique du Sud, sont les vertébrés les plus venimeux que l’on connaisse. Et ce, plus que n’importe quelle espèce de serpent. Mais contrairement à ces derniers, leur venin ne se trouve pas dans des glandes situées dans leur bouche. Ainsi, elles ne vont pas l’injecter à leur proie lors d’une morsure.

Le venin des grenouilles dendrobates se présente sur leur peau, recouvrant tout leur corps d’une fine pellicule de liquide. Ce dernier donne un aspect brillant à leurs couleurs déjà vives. Par ailleurs, cette fine pellicule est prête à enivrer tout animal qui oserait les mettre dans sa bouche.

Couleurs d’avertissement de la grenouille

La grenouille à flèche empoisonnée possède une petite taille, une couleur vive et des motifs vibrants. La coloration va du rouge intense, de l’orange ou du jaune à un bleu électrique intense. Une couleur inhabituelle dans la nature qui fait de ces grenouilles des animaux très frappants. Mieux, ils sont pratiquement incapables de se cacher ou de se camoufler.

Cette attraction visuelle, en plus d’être un spectacle visuel unique, est un moyen d’avertir les prédateurs de leur danger. Dans la nature, un animal aux couleurs aussi vives est synonyme de menace. Certains animaux imitent d’ailleurs ces motifs pour faire croire à leurs prédateurs qu’ils sont plus dangereux qu’ils ne le sont en réalité.

Pourquoi les grenouilles ne s’empoisonnent-elles pas avec leurs toxines selon des scientifiques
Capture instagram

Le poison de la grenouille fléchée

Compte tenu de leur caractère toxique, une question se pose : comment les grenouilles font-elles pour ne pas s’empoisonner ? Le poison doit atteindre la peau d’une manière ou d’une autre. Toutefois, celle-ci peut agir comme une barrière physique. Mais la moindre blessure cause l’infiltration des toxines mortelles dans l’organisme, avec une issue fatale.

Pour autant que nous le sachions, les grenouilles fléchées ne synthétisent pas automatiquement leur venin. Non, car ces toxines viennent de leur régime alimentaire, en consommant des insectes contenant des alcaloïdes toxiques.

D’une manière ou d’une autre, les dendrobates ne s’empoisonnent pas elles-mêmes. En effet, elles capturent les toxines et les accumulent dans leur peau pour s’en servir comme moyen de défense.

Cette méthode unique d’obtention et de stockage des toxines soulève la même question. Comment peuvent-ils manipuler ces composés mortels sans être affectés ? Une étude récente menée par Aurora Alvarez-Buylla, chercheuse à l’université de Stanford, et ses collaborateurs explique ce mystère.

Pourquoi les grenouilles ne s’empoisonnent-elles pas avec leurs toxines selon des scientifiques
Capture instagram

Un mécanisme de résistance aux toxines

L’équipe d’Alvarez-Buylla a découvert un mécanisme qui permet aux grenouilles dendrobates de manipuler sans dommage les alcaloïdes toxiques. Ce mécanisme fait intervenir une protéine plasmatique, c’est-à-dire un type de protéine dissoute dans le plasma sanguin.

La protéine plasmatique en question est une globuline de liaison aux alcaloïdes de type serpine. Il s’agit d’une vaste classe de protéines qui fonctionnent comme inhibiteurs des protéases à sérine. Ces dernières sont des enzymes impliquées dans divers processus physiologiques, notamment la coagulation du sang, la réponse immunitaire et l’inflammation.

Les sérines régulent l’action de ces protéases en se liant à elles et en modifiant leur activité. Cela empêche ainsi la dégradation des protéines dans l’organisme, bien que d’autres aient également des fonctions de transport.

La globuline liant les alcaloïdes

Elle s’est spécialisée dans la liaison aux alcaloïdes toxiques présents dans le plasma sanguin des grenouilles et régule la biodisponibilité de ces alcaloïdes, les empêchant de circuler librement dans l’organisme de la grenouille et réduisant ainsi les risques.

Ce mécanisme permet aux grenouilles d’accumuler et d’utiliser ces composés toxiques dans la peau. Il s’en sert pour se défendre contre les prédateurs, sans courir le risque de s’empoisonner.

Pourquoi les grenouilles ne s’empoisonnent-elles pas avec leurs toxines selon des scientifiques
Capture instagram

Importance pour l’évolution et le métabolisme

La découverte de la globuline liant les alcaloïdes chez les grenouilles dendrobatides témoigne de l’extraordinaire capacité d’adaptation de la vie. Cette spécialisation biochimique ne résout pas seulement un problème d’auto-intoxication. En effet, elle représente également une stratégie de survie raffinée, résultat de millions d’années d’évolution.

Dans un environnement où le risque d’être mangé est constant, ces grenouilles ont développé un mécanisme unique. Ils peuvent ainsi échapper à ces deux risques et transformer les substances dangereuses en une défense redoutable.

Cette découverte souligne l’importance des fonctions des serpines au-delà de l’inhibition des protéases. Par ailleurs, cela élargit aussi notre compréhension de la diversité des protéines dans les organismes vivants.

Ces connaissances sont pertinentes pour l’herpétologie, la biologie de l’évolution, la toxicologie et la pharmacologie, et offrent des pistes pour trouver de nouveaux médicaments et de nouvelles thérapies.

En fin de compte, l’étude de ces grenouilles et de leurs modes de survie offre une nouvelle fenêtre sur la complexité de la vie et son adaptation dans un monde en constante évolution.